Je sais, je sais: L'Amère à boire, c'est avant tout un bar, ou, plus précisément, une brasserie artisanale où les brasseurs, particulièrement expérimentés, arrivent à produire des petits miracles avec des cuves grosses comme trois fois rien. C'est aussi un bar que j'ai écumé quand j'étais au cégep (à l'époque, les pichets de 60 onces se vendaient 12$ dans le jour, et La distillerie n'existait pas encore...), et que j'ai ensuite fréquenté avec des groupes d'amis, nous rassasiant d'olives kalamata à 1,50$ et de frites bien croustillantes entre deux pichets de Cernà Hora, la lager tchèque inspirée par la recette originale de la Budweiser. Et c'est probablement dans ce tripot que j'ai appris à aimer la vraie bière, quelque part le nez dans l'écume d'une Amère d'Octobre, une délicieuse bière ambrée qui, malheureusement, ne fait plus partie de la sélection saisonnière de L'Amère à boire.
Car L'Amère à boire a bien changé. Elle a abandonné plusieurs de ses bières ponctuelles (la Champ-de-Mars, l'Amère Noëlle, l'Oktober Fest) pour le projet Éléphant, un projet qui visait à explorer les traditions des brasseurs de bières en temps de famine, c'est-à-dire les bières avec une plus faible teneur en malt, et donc, en alcool. De ce projet est né la Éléphant 10, une bière parfaite pour l'apéro, légère et douce, qui est comme la petite soeur sage de la Cernà Hora, mais qui ne vaut pas toute les Amère d'Octobre de ce monde. Le restaurant qui était abrité au troisième étage de la brasserie, lui, est maintenant incorporé au bar: on mange et on boit partout, pour notre plus grand bonheur.
Ou non.
Mon intérêt pour la cuisine de L'Amère à boire, c'était avant tout les délicieux burgers sur le gril, énormes s'ils en sont, qui se laissent manger et qui ont un petit goût de fumé absolument délicieux. Parce qu'ils sont toujours si réussis, j'ai convaincu Chéri de s'embarquer dans une dégustation du nouveau menu tapas de L'Amère à boire, après un cinoche d'après-midi. Nous sommes donc arrivés à l'heure du 5 à 7, affamés et assoiffés.
Installés sur la terrasse arrière, nous avons eu le plaisir d'être servis rapidement (la place était vide, la faute à la finale de conférence, sans doute) et de recevoir prestement notre Hefe Weizen et notre Drak, bières choisies pour étancher notre soif plus que pour accompagner notre sélection de tapas. Notre choix s'est arrêté sur les oignons bahji iet leur chutney de tamarin, les acras de morue et leur mayonnaise et la lime, et les gyoza de lapin confit, sauce à l'orientale. Beaucoup de plaisir en perspective.
Notre première déception: le serveur nous informe qu'il ne reste plus d'acras de morue, ce qui n'augure rien de bon puisque cela suppose aussi qu'ils ne font pas leurs acras eux-mêmes, mais qu'ils les achètent congelés, alors que c'est pourtant si simple d'effilocher de la morue et de la mélanger avec de la levure et des épices ! Comme la sélection de tapas n'est pas siiii exhaustive, et qu'un bar, c'est avant tout un bar, nous laissons faire et attendons notre petit en-cas.
Notre deuxième déception: les gyoza de lapin confit n'ont pas grand chose d'attirant, présentés à plat (parce que plats, plats, plats eux-mêmes) dans une assiette et grossièrement parsemés de petits dés de poivron rouge. J'appelle cela une garniture parasite: ça se mange, mais ça ne sert à rien dans l'assiette, pourquoi donc est-ce que c'est là ? Les gyoza en eux-même n'ont pas grand chose des véritables gyoza, qui sont supposés être légèrement renflés, enveloppés d'une pâte consistante et bien dorés sur leur côté plat, d'où leur nom de pot stickers en anglais. Les nôtres étaient ultra-minces et enveloppés d'une pâte à won ton classique, c'est-à-dire trop mince et trop molle pour offrir une résistance sous la dent. La garniture de lapin confit était elle-même trop rare pour être goûteuse, et la sauce orientale (un mélange obscur de sauce Hoi Sin et de vinaigre de riz qui goûtait beaucoup trop le vinaigre) achève de tuer le peu de saveur de cette chose. Nous mangeons, mais passons rapidement aux bahjii, sans grande conviction.
Ces derniers ressemblent à de petites boulettes de viande: le dessus est tout brun, bien caramélisé, et ils ne semblent pas frits dans une pâte comme les bahjii traditionnels. Troisième déception: les beignets d'oignons sont mous, jaunes, et ne craquent pas sous la dent. L'ensemble n'est pas mauvais, mais on aurait préféré quelque chose de croustillant et salé, comme devraient l'être des bahjiis. L'intérieur est jaune vif: on a employé une dose abusive de fenugrec et de curcuma pour les assaisonner, mais on a oublié les autres épices fines et douces qui font de la cuisine indienne une cuisine si raffinée: cannelle, nigel, cardamone... Un petit rien aurait suffit à donner un peu de oumph à ce beignet grossier. Le chutney de tamarin, dont la texture collante était intéressante, n'avait pas le goût acidulé caractéristique du tamarinier: on était plutôt dans le sucré-salé, ce qui n'était pas mauvais. À tout prendre, j'aurais servi avec un chutney ou une mayonnaise à la coriande.
On a tout mangé, mais on a rapidement fuit. C'est rare que Chéri et moi sommes aussi tristes en rentrant du resto.
Coût de la soirée: 20,75$ et une sérieuse baisse dans notre estime de L'Amère à Boire.
Morale de l'histoire: L'Amère à Boire, oui... pour boire, pas pour manger !
Prozit !