Il fait chaud et la chaleur me rend la vie insupportable, et insupportable moi-même par transfert. Je me suis levée du mauvais pied, congestionnée du nez et de la colonne vertébrale, seule par-dessus le marché. J'ai décidé de me payer un long avant-midi de flâneries. Dans mon langage fortement teinté d'influences sartriennes, j'appelle ça prendre congé de mon existence. C'est ce que j'ai fait doucement, à mon rythme, après avoir épluché les Internets en écoutant Des kiwis et des hommes. Pas de blagues: je suis tombée sur Boucar Diouf qui parlait de l'importance de LS Senghor dans la nationalisation de l'éducation primaire au Sénégal et je me suis sentie interpellée. J'ai cessé d'être attentive au bout d'environ 23 secondes, mais un fait demeure, j'ai écouté Des kiwis et des hommes ce matin, et Des kiwis et des hommes m'a presque parlé de littérature.
Je suis partie déjeuner (petit caprice qu'on s'offre à deux mais que je ne dédaigne pas à l'occasion (lire: c'est arrivé deux fois dans la dernière année) en solo) et j'en ai profité pour faire des achats dans les deux endroits au monde où je préfère dépenser mon argent: l'épicerie et la librairie. Je cherchais Walden; or Life in the Woods de Henry David Thoreau mais, parce que c'est la mode maintenant de cultiver la médiocrité littéraire, je n'ai trouvé qu'un extrait ("Je vivais dans les bois") publié en Folio 2E, chez Renaud-Bray comme chez Olivieri. Je ne me suis pas laissée abattre: j'ai commandé l'intégral publié chez l'Imaginaire et je compte m'en délecter d'ici peu.
Cette manie qu'ont les éditeurs de charcuter les textes célèbres a le don de m'irriter. Je me rappelle le désarroi que j'ai ressenti quand j'ai vu l'édition Classique Le livre de poche de Du côté de chez Swann dépouillé de Combray et de Nom de pays: le Nom (je conviens que cette dernière partie est peut-être la plus n'importe quoi de toute la Recherche, mais tout de même...). C'est une drôle de manière d'envisager la littérature: je veux bien croire qu'Un amour de Swann est la façon la plus accessible d'aborder l'oeuvre de Proust, mais il me semble qu'on n'apprend pas aux lecteurs la valeur d'une oeuvre en leur enlevant le libre exercice de choisir, d'apprécier ou de détester. En éditant ainsi certaines partie de chef d'oeuvres comme un tout unique, on détruit une bonne partie du plaisir de la réception d'un livre et de l'exercice critique de la lecture. Pire: on entre dans le jeu de la culture de la consommation de la culture. On donne des munitions aux gens qui font de la culture un construit.
Et ça, ça m'énerve. Tellement, que quand je suis tombée sur une pile de livres qui traînaient, dans un coin du rayon Philosophie de chez Olivieri, je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir la réincarnation de deux personnages de ma connaissance que j'ai finalement réussi (avec bonheur) à éliminer de ma vie. Toutefois, la personne qui achète, d'un même souffle, les deux tomes de la Phénoménologie de l'esprit, L'Enracinement de Simone Weil, L'être et le néant, Le Gai Savoir et Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps de Husserl est une personne qui a une drôle de façon de maçonner son savoir philosophique. Une façon convenue. Une façon convenue, qui transpire la pédanterie et l'idéalisme hautain. Disons.
Par la bande, je déteste le nouvel aménagement de la librairie Renaud-Bray Côte-des-Neiges. Ils n'ont pas pensé aux gens minuscules en faisant les nouveaux rayons ! Une personne normale doit se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre la tablette du haut, moi, c'est avec les DEUX dernières tablettes que j'ai de la misère... Je veux dire, je dois me livrer à de drôles de contorsions pour aller chercher les Faulkner tout en haut, et un livre sur deux me tombe dessus sans que je ne sois capable de le replacer. Je pense que même les librairies devraient se familiariser avec le concept de user friendly. Je me demande ce qui me déplaît le plus entre cette librairie pour géants et l'élitisme affecté que dégage Olivieri (qui ont pourtant un inventaire littéraire plus que déplorable, même si leurs sections philo et socio sont bien garnies). Mine de rien, ça me fait plaisir de détester les endroits où je vais magasiner. Ça me donne des sujets de conversations.
Bilan de la journée: Sanctuaire de Faulkner, le Magasine Littéraire de janvier, sur Simone de Beauvoir, Le coeur à rire et à pleurer de Maryse Condé, Promenades Anglaises de Christine Jordis et 42ième Parallèle, le premier tome de U.S.A. de John Dos Passos. Une américanite aiguë qui se conforte dans la fréquentation assidue de L'Amérique au jour le jour, le journal de Simone de Beauvoir en voyage aux États-Unis. Je compte le finir aujourd'hui et en livrer mes impressions plus tard.
Et pour les curieux, je remplirai la panse de mon bel homme blanc avec des crevettes géantes grillées à la pancetta, des fettucine alfredo et un mesclun arrosé d'une dijonnaise aux herbes fraîches. Faire le marché, c'est bien.
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