jeudi 6 décembre 2007

La parole aux coïncidences

C'est anodin, mais je viens de remarquer que l'artiste dont je vous ai entretenu plutôt aujourd'hui est la même à avoir conçu la Nef pour quatorze reines, ce monument qui me chavire le coeur et les trippes chaque fois que j'y pose les yeux.


Et justement, nous sommes aujourd'hui le 6 décembre et il est vraiment l'heure de se rappeler...

L'art prend le métro

Je me suis adonnée hier à la spectature ébahie d’une installation d’art spontanée qui circule dans le métro. Hier, je ne devais pas prendre le métro et pourtant j’étais là, à me débattre avec la première impression d’angoisse qui m’est venue à l’esprit en me livrant aux détails qui clochent : la voiture bleue sombre (bleu le faux-fini genre boiserie qui orne les murs, bleues les fenêtres, bleus les sièges) qui, sous la terre, avait quelque chose de véritablement oppressant. J’ai pris quelques minutes avant de réaliser que je n’étais non pas dans une immense publicité intrusive mais bien dans une mise en abîme de la vie urbaine. Ce n’est pas les motifs d’édifices, de rues et de lampadaires aux fenêtres qui m’ont mis la puce à l’oreille : c’est le wagon qui, éclatant de rire, s’est mis à penser en plusieurs langues.

Je dois avouer que l’expérience, qui relève du pur hasard, est déroutante : l’aménagement de la voiture en soi a quelque chose de particulier (en ce sens qu’elle baigne les voyageurs dans une sorte d’inquiétante étrangeté) mais c’est la bande sonore accompagnant l’ensemble qui transforme le déplacement quotidien en démonstration artistique : bruits, éclats de rire, carillons, grincements, cris; aux premiers abords dérangeants, accompagnés de paroles qui emplissent la voiture pour aller subvertir la pensée de voyageur, se substituer à celle-ci. Le mélange des langues et des sonorités provoque l’inconfort mais traduit la réalité urbaine. C’est réussi.

Seulement voilà : l’oreille tendue et l’œil brillant, je n’ai vu que des mines renfrognées et des gens désintéressés. Même servie sur un plateau d’argent, l’art ne stimule pas la population gazée par la routine. C’est d’une désolation totale.

Je suis rentrée à la maison pour googler avec empressement le seul slogan révélant l’existence de cette installation artistique de l’extérieur: L’art prend le métro. Le site Internet de la STM a répondu à mes questions : « Montréal, le 24 septembre 2007 – M. Claude Trudel, président du conseil d’administration de la Société de transport de Montréal (STM), a procédé aujourd’hui au dévoilement d’une œuvre d’art inédite dans une voiture de métro de type MR-73 réaménagée. Cette œuvre a été conçue et réalisée par Madame Rose-Marie E. Goulet, artiste en arts visuels, en collaboration avec Madame Chantal Dumas, artiste sonore. ». L’œuvre, dans le communiqué, est décrite comme une « perspective englobante » donnant lieu à une « interprétation nouvelle de la vie ». Allons.

Composée essentiellement d’images associées à l’univers pictural urbain, l’œuvre, Point de fuite, travesti la réalité ordinaire par l’ajout de vinyle et de pellicules sur le revêtement habituel du métro, en plus de gloser une atmosphère très froide au moyen d’un éclairage rosé. Une nouvelle vision de la vie, sans doute pas, mais très certainement une nouvelle vision du métro. « Point de fuite est un voyage onirique, un voyage dans un monde connu auquel on a fait subir de légères modifications artistiques », indique Mme Rose-Marie E. Goulet.

Dommage que les spectateurs qui se sont trouvés à être dans le métro en même temps que moi se soient révélés blasés. Le Point de fuite, n’est-ce pas le début de la perspective ?

mercredi 21 novembre 2007

Et cela a été à en mourir...

J’ouvre le livre et il craque. Jaune, vieux, taché, plié : ce n’est pas le mien, il ne pourra jamais le devenir puisqu’il porte le nom de son précédent propriétaire : Christine. Je devrai m’y faire pour encore un an ou deux : les éditions de Minuit ne sont pas à la portée de mon portefeuille. Peu importe : le livre porte un parfum épicé, comme une histoire d’amour, ce qui me semble tout à fait propos – mais je ne le sais pas encore parce que je n’ai jamais lu le livre et je n’en ai même pas entendu parlé (ce qui est curieux dans la mesure où il s’agit d’un succès mondial). J’aurais du m’en douter : le livre porte pour titre L’amant, comme une évidence, un incontournable. Je n’ai pas fait le lien. Il y a des jours où je ne suis vraiment pas vite.

C’est dur d’expliquer ce que ça sent, un livre usagé, mais tout le monde le sait. J’ai un fétiche : ma vieille (vieille) copie de L’envers et l’endroit, qui sent fort comme un homme après l’amour. L’amant ne rivalise pas, mais je reconnais le bonheur qui me pique le nez, et la poussière qui flotte dans son ventre. J’ai fini par l’ouvrir après l’avoir contemplé. J’étais vraiment réticente : j’ai eu une mauvaise expérience avec India Song, je me suis sentie flouée par la grande dame de la littérature. J’avais l’impression de tourner en rond, de perdre mon temps, d’arriver dans une histoire déjà écrite depuis longtemps dont tout le monde était au courant du dénouement sauf moi.

Je me suis trompée. Je dois avouer d’emblée que je me suis trompée. Marguerite Duras écrit cette fois tout en légèreté, en douceur, en intervalles et en silences. J’ai l’impression d’avoir tout l’espace qu’il me faut pour respirer et digérer le récit qui fait appel à mon imaginaire visuel avant de faire tilter mon sens littéraire critique : je me sens créative – c’est une expérience qui se rapproche de l’intermédialité. Il y a beaucoup de temps dans le livre de Duras : le temps de l’Indochine cohabite avec le temps de la vieillesse, et tout l’espace-temps entre eux deux se déclinent comme une douce présence dont on a seulement tracé les contours. J’ai l’impression d’avoir fait un pas en arrière et d’avoir pu saisir Duras d’un coup d’œil. Je suis jalouse.

Je suis jalouse aussi de la belle histoire d’amour, trop jeune pour vivre la sensualité du désir, de l’amour, et le vivre quand même, avec la tranquillité détachée de l’évanescent. Jalouse des mots qui ont l’air d’avoir suivi le cours du Mékong pendant des années, pour se retrouver exactement au bon endroit sur la page blanche qui trône sur la table de travail de Duras. Les images puissantes aussi, que j’ai assimilé jusque dans ma critique : le cours des jours, le fleuve à l’arrachée, les torrents, le barrage. Et la mère. La mère comme un cri, comme une douleur.

Le roman de Duras est sensitif, sensuel. Elle le porte à bout de bras avec les souvenirs de ses sens adolescents : l’odeur d’Indochine, le parfum que je pense d’abord en vanille et en citronnelle, épicé, avec un cœur de boue et de moisissure. L’odeur, et l’éclat diaphane de la jeune femme blanche, qui se dit prostituée sans-gêne, sur le bac. L’aspect lumineux et transparent de l’Indochine, qui donne au récit la légèreté et la lenteur qui le rendent si attrayant.

Une phrase peut-être. Une seule : « Une détresse à peine ressentie se produit tout à coup, une fatigue, la lumière sur le fleuve qui se ternie, mais à peine. Une surdité légère, un brouillard, partout. ». Ou un autre : « Je lui avais demandé de le faire encore et encore. De me faire ça. Il l’avait fait. Il l’avait fait dans l’onctuosité du sang. Et cela en effet avait été à mourir. Et cela a été à en mourir. ».

mardi 20 novembre 2007

En guise d'introduction...

Je passe tellement de temps à me dire que je veux écrire et à ne pas y arriver que je me demande si je ne devrais pas tout simplement me résoudre à ne pas le faire pour tout dire. Tout dire, ce pourrait être comme décliner l’ensemble de ma substance, les thèmes, les mots, les lettres, les plis, les crevasses, les soucis jusqu’au bout des ongles.

Ou ne rien dire.

Cela m’importe peu, il me semble que je n’ai jamais assez de voix. Il me semble que les mots finissent toujours par me filer entre les doigts. Je m’épuise à m’expliquer; je craque de partout. Je fendille. Ce que j’aimerais plus que tout, c’est que quelqu’un me pointe du doigt et trouve trois mots pour tout comprendre.

Tout comprendre de moi. Comme si j’étais un personnage et que tout ce que je faisais n’était pas plus important que ça.

Le rapport pervers que j’entretiens avec la littérature me vient de l’idée que toute la substance du monde est contenue dans un bloc dense, un peu plus épais de ce côté là, où s’accumulent les connaissances. J’ai cherché, mais c’est vrai qu’il n’existe aucun point de vue qui permette d’avoir un regard d’ensemble. Depuis, je suis submergée à l’intérieur : j’avale tout, et je décline ensuite : les mots, les sens, les sons, les textures, les images, les évocations, les dénotations, les connotations… Et ça s’alourdit avec le temps : les mots, les sens, les images, les sociolectes, la diégétique, le dialogisme, la pragmatique, le structuralisme, l’arc herméneutique du grand déploiement des sens qui se croisent et se décroisent… Et ainsi de suite.

Je suis tout de même amoureuse.

Je veux dire qu’en plus d’arriver à être vraiment amoureuse, pour vrai, dans toutes mes vies de tous les jours, avec chacun de mes amoureux, j’arrive toujours à aimer, à découvrir de nouveaux mots, de nouveaux livres. Je souffre de plus en plus du manque de certitudes; mais celle-ci demeure; je veux dire, celle qui dit que je trouverai toujours la littérature réconfortante. Je dis : la littérature, mais il me semble que l’expression humaine se rapprocherait plus de la réalité. La littérature, la peinture, l’architecture, la sculpture, la danse… Il me semble que je suis en train de mettre tout ce qu’il faut en place pour devenir une snob du plateau.

Heureusement pour moi, pour mon porte-feuille, j’habite toujours Côte-des-Neiges. Le quartier drabe de la désintoxication culturelle. Ici, il y a deux types de gens : les étudiants, et les autres. Nous sommes presque tous pauvres. Grand bien nous fasse.

Et j’ai vraiment envie de boire du thé vert.

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