mercredi 26 août 2009

Une révolution, Les aliments contre le cancer ?


Je me sens comme si j'avais envie de faire une petite montée de lait. Rien de grave, seulement le sentiment désagréable de sentir que le monde médiatique tend à prendre son public pour des caves, moi y compris. C'est du moins ce que fait naître en moi (et l'arrière-goût fielleux qui l'accompagne) le spam publicitaire de Public Plus, qui m'invite à assister à la nouvelle émission de Mitsou et du Dr. Béliveau, tous les trois jours depuis trois semaines.


Je comprends l'effort d'enthousiasme que l'on investit dans Kampaï. L'émission, qui offre une nouvelle formule brodant autour du show de cuisine et de santé publique, quelque part entre Ricardo et Une pilule, une p'tite granule, promet un avenir meilleur à ses futurs auditeurs, un avenir meilleur et en santé, de surcroît, ce qui n'est pas négligeable. On peut donc encore dire, dans le cas de Kampaï tout particulièrement, que l'enfer est pavé de bonnes intentions.


C'est vrai que la santé passe par la nourriture. Je le dis depuis longtemps, et j'en suis plutôt convaincue. C'est vrai aussi que le travail qu'a abattu le Docteur Béliveau avec le Centre de recherche en médecine moléculaire est considérable. C'est d'autant plus vrai que l'idée d'offrir une émission télévisée tournant autour de la santé par la bonne nourriture pourrait créer (accidentellement) une population plus éduquée sur le pouvoir de ce qu'elle met dans son assiette. Là où je décroche, c'est quand on essaie de me faire croire que cette formule est nouvelle et révolutionnaire. Qu'il s'agit de la plus grande découverte médicale du siècle. Et quand, pour me rendre le tout encore plus concret, on se sert d'une égérie dynamique et intelligente comme Mitsou, j'ai l'impression qu'on cherche à façonner une mode, et non pas à prévenir quoi que ce soit.


Entendons nous sur deux choses.


D'abord, Kampaï, en japonais, ça veut dire «À votre santé» comme nous même nous disons Santé ! en français ou Salute ! en russe. Ce n'est ni plus ni moins qu'une formule toute faite pour accompagner l'ingestion d'alcool, généralement lors de soirées festives et bien arrosées. Or, même si Montignac, Delorgeril et Béliveau disent que l'alcool est bourrée de polyphénols (et d'antioxydants si on choisit le vin rouge) et qu'il est bon d'en consommer un verre par jour, je trouve le titre de l'émission très mal choisi parce qu'il invite à l'excès et qu'il décrit très mal la relation que les Japonais ont avec la nourriture. Il est vrai que ces derniers ont une diète particulière qui les rend plus en santé et les fait vivre plus vieux que la majorité de la planète, mais l'alcool y tient une très maigre part (au contraire des diètes d'inspiration méditérannéenne). Les Japonais qui mangent encore selon les traditions se soumettent à un régime semi-végétarien, très pauvre en graisse animale, riches en poissons, en légumes, en algues et en soja. C'est ça le secret de l'alimentation japonaise. Ça, et le hara hachi bu, c'est-à-dire le fait de manger jusqu'à 80% de sa satiété. Ça n'a donc rien à voir avec l'alcool, et encore moins avec Kampaï.


Déjà, je déteste quand une émission se vend sans connaître la formule qu'elle utilise. Pour moi, c'est comme de la prostitution médiatique. Cela étant, tout ça, c'est un moindre mal.


Parce que ce qui m'énerve VRAIMENT avec Kampaï (l'émission), c'est que le docteur Béliveau n'a rien inventé ! Je suis bien prête à lui donner le mérite qu'il a en tant que contributeur et je veux bien reconnaître que ses recettes sont délicieuses (vraiment ! Courez achetez «Cuisiner avec les aliments contre le cancer», si vous ne l'avez pas déjà), mais arrêtons d'encenser ses recherches comme si elles étaient innovatrices. Dans l'état des choses, les relations entre nourriture et prévention sont tout au plus ancestrales mais au goût du jour. Ce que le Dr. Béliveau fait de nouveau (et il le fait très bien, remarquez), c'est appliquer les avancées modernes en biochimie à un concept déjà utilisé dans la médecine hippocratique de la Grèce antique, et dans l'Ayurveda indien (l'Ayurveda étant le traité régissant le mode de vie à adopter pour vieillir en santé selon les rites yoga).


Jusqu'au Moyen-Âge, l'idée d'associer certains aliments à la prévention de certaines maladies étaient tellement populaire qu'elle influençait la majeure partie du commerce des épices. Même si ces deux médecines (hippcoratique et ayurvédique) différaient, leurs conceptions du monde étaient sensiblement pareilles: selon elles, le monde est constitué de divers élémentals (quatre chez les Grecs et cinq chez les Indiens) qui influencent les humeurs du corps (chez les Grecs) ou le feu digestif (chez les Indiens). Les Grecs voyaient l'alimentation comme cause et remède de toutes les maladies: la coction transforme tous les aliments ingérés en humeurs (l'une ou l'autre: sang, bile, flegme) et en épaissit la quantité dans le corps. On traitait donc chacune des maladies liées à ces humeurs en offrant des aliments qui opéreraient l'effet contraire de la maladie affectant la dite humeur. Simple, n'est-ce pas ?


Dans la médecine ayurvédique, l'aliment a un rôle semblable: son ingestion peut entraîner une faiblesse du feu digestif, qui alors deviendra «âma» (ce qui, plus ou moins, veut dire «non-vert»). L'âma est la cause des parasites, qui y trouvent alors un milieu humide et organique où ils peuvent croître et se reproduire, ce qui crée un déséquilibre dans les «dosas» (les fameuses humeurs grecques). La particularité de la médecine ayurvédique, c'est d'envisager l'excès comme le manque d'une humeur dans le corps, alors que les grecs ne considéraient que le trop plein. Dans tous les cas, on va traiter avec des aliments qui ont le potentiel d'inverser la maladie, ces potentiels étant évalués selon certaines qualités de l'aliment (chaud, froid, lourd, léger, etc.). C'est ici que l'utilisation de la plupart des épices et des plantes en médecine préventive entre en ligne de compte parce que, on le sait, les épices orientales sont chaudes, voire brûlantes, et elles ont un goût particulièrement puissant, ce qui en fait des «médicaments» de choix.


Avant la chute de l'Empire Romain d'Occident, les savoir médicinaux ancestraux se sont transmis par les routes commerciales, et ont donc grandement influé sur les habitudes culinaires des gens, qui consommaient de grandes quantités d'aliments recommandés par les traités hippocratiques et ayurvédiques. On sait par exemple que plus de 84 épices étaient recensées par les douanes romaines, et que la plupart ont modifié la tradition culinaire des différentes civilisations. Les Romains comme les Abassides iraniens (et les Achéménides avant eux) consommaient de grandes quantités de poivre, de coriandre, de cannelle et de cumin, en plus de les associer à des ingrédients locaux (le poireau, la livèche, l'origan, la menthe, l'aneth...). On combinait à ces épices des jus d'agrumes, du vin ou du vinaigre et du miel ou des jus sucrés. À la même époque, en France, on importait le poivre long, le gingembre, le safran et le curcurma, aussi cuisinés avec le vin et le vinaigre - et l'ail. Aux doses utilisées par les préparations culinaires recensées à l'époque, les différentes combinaisons étaient en mesure d'éradiquer la plupart des bactéries contaminant habituellement les préparations culinaires. L'ail, l'oignon et l'origan sont particulièrement efficaces, s'attaquant à 100% des bactéries microbiennes, mais le thym, le piment, la canelle, le cumin et la moutarde ont des taux d'efficacité tout aussi respectables. Assez surprenamment, les épices les moins efficaces sont le poivre, le gingembre et la cardamone.


Bref. Tout ça pour dire qu'un peu avant la naissance de Jésus, et jusqu'au XIIe siècle, toutes les populations influencées par le commerce des arabes (l'Europe, le Nord de l'Afrique, l'empire Abasside et même la Chine) ont suivi les mêmes préceptes guidant leur alimentation, et que ces préceptes étaient bâtis sur des combinaisons de nourriture, combinaisons que j'ai énumérées plus haut. Ces combinaisons ont façonné les cuisines du monde jusqu'à l'ouverture de la route des Indes par Marco Polo.


Et quels sont les aliments au centre des recherches du docteur Béliveau ? L'ail et les autres aliacés, les agrumes, le vin rouge, le curcuma, le gingembre, le poivre... Des aliments tous utilisés par les combinaisons prescriptes par les régimes hippocratiques et ayurvédiques. Est-ce que j'ai vraiment besoin de souligner le fait que «innovateur» est peut-être une titre un peu galvaudé quand on essaie de nous vendre le Dr. Béliveau est sa nouvelle émission ?


Non.


Alors je suppose qu'on s'est compris ! ;)


(Source, pour la plupart des données statistiques: BOUDAN, Christian. La géopolitique du goût. PUF.)

2 commentaires:

hugo a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Kim Raymond a dit…

C'est ça Hugo, efface tes commentaires niasus ! :P

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